Accentuer la focale autour des rapports de Genre s’explique par le fait que le Genre est un rapport social particulier par lequel les rapports sociaux au sein d’un espace particulier peuvent être éclairés. Il ne s’agit pas d’une variable socio-démographique ou une catégorie descriptive comme le « sexe », le genre relève d’un mécanisme inhérent au fonctionnement social global, il permet de rendre compte d’expériences, de rendre visible ce qui de prime abord serait qualifié « d’évidence », « d’allant de soi », « de naturel ». Le prisme du genre fait également ressortir cet imperceptible, ces situations et manières d’agir qui sont trop souvent et trop rapidement qualifiées de « subjectives », qui ne pourraient pas être objectivables car trop « inter ou intra personnelles ». Il s’agirait donc d’envisager les « sens pratique » intériorisés de deux groupes sociaux (les hommes et les femmes) mais également d’appréhender ce que les gens en font et en défont concrètement. notamment du fait d’une féminisation croissante du secteur associatif. Ainsi, il s’agit d’envisager les rapport au travail, au territoire, à l’économie, etc. par le prisme des genres comme une variable agissant sur les manières de vivre et de se vivre pouvant impacter les systèmes collectifs mis en réflexion.

Ce prisme des rapports de genre sera notamment pris dans une réflexion autour du rapport au travail, aux temps et aux espaces de vie des personnes s’inscrivant dans ces associations. Il s’agira d’identifier les différents espaces investis par les individus (notamment l’espace travail et l’espace domestique), les stratégies qui y sont déployées individuellement et collectivement, la relation entre ces différents espaces et notamment à travers la donnée du temps. Comment s’organisent et se déploie le/les temps consacrés et investis dans les différents espaces, quelle perception les individus en ont ; quelle prise en compte les associations en font ?

Par « espace » nous entendons espace physique mais également espace social, espace symbolique, espace économique, etc. Ainsi, nous pouvons envisager que l’espace « travail » est aussi un espace économique au sens où dans cet espace se produit une capitalisation économique par le salaire pour certain.e.s alors que pour d’autres, bénévoles par exemple, la capitalisation peut s’avérer davantage symbolique (rétribution sociale, morale, etc.).

En ce qui concerne l’espace physique domestique, lui aussi est largement emprunt d’entrecroisement d’espaces sociaux, économiques et symboliques. La période de crise sanitaire a vu le développement exponentiel du télétravail, ainsi il serait intéressant de venir interroger les stratégies d’organisation de l’espace travail, avec l’espace conjugal, avec l’espace parental, avec l’espace affectif, avec l’espace de repos et de temps libre. Lorsque les espaces physiques s’intercalent et donc lorsque la frontière physique n’est plus « allant de soi » que se passe t-il chez les individu.e.s et par continuum dans les collectifs des associations?

Nous partons du postulat que tout.e individu.e capitalise un certain nombre de ressources pour se situer dans les espaces dans lesquels il/elle s’investit. Nous entendons « espace » par un cadre plus ou moins délimité et mouvant dans lequel les agent.e.s de cet espace se positionnent, agissent stratégiquement pour s’y placer et satisfaire à leurs intérêts (qu’ils soient de l’ordre de l’ascension, la subversion, la résistance, l’intégration, l’appartenance, etc.). Ainsi tout espace est un champ de force, de positions qui s’allient, se frictionnent, se tolèrent, s’opposent, se combattent. Ces agent.e.s font valoir des ressources valorisées ou valorisables dans cet espace pour gagner en légitimité, reconnaissance, valeur. Le but ultime étant que ses propres ressources deviennent les ressources universalisées l’espace.

En ce qui concerne la notion de temps, nous souhaitons interroger le rapport au temps des individu.e.s non dans une approche linéaire tel que nous « vivons » le temps. Nous envisagerons bien plus d’explorer le vécu et la perception du temps mais également la juxtaposition du temps en lien avec le rapport au travail. Là encore la crise sanitaire et la généralisation du télétravail a mis en lumière de manière bien plus évidente les mécanismes de juxtaposition de la production. Ainsi, lorsque dans un même espace physique il faut organiser le travail domestique, parental, associatif alors comment les individu.e.s organisent, pensent le temps ou les temps et/ou leur temps. Dans quelle mesure ces réalités questionnent ce qui relève du travail marchand ou non marchand et que ces frontières jusqu’alors largement délimitées par l’opposition public/privé se retrouvent bouleversées ?

Enfin, si l’on reprend cette dichotomie public/privé qui à l’aune de l’organisation libéralisée du travail, du développement des outils de communication numériques semble depuis plusieurs décennies désuètes tant la frontière entre l’entreprise et la maison est poreuse (CF : le droit à la déconnexion), elle ne l’est plus lorsque nous décalons la focale… Les travaux de recherche sur la division sexuée du travail domestique, la prégnance féminine de la charge mentale et qui plus est parentale, l’importance des familles monoparentales dont le parent est la mère, les temps partiels en majorité dévolus aux femmes alors cette dichotomie public/privé se réinscrit dans une actualité.

Pour finir, nous portons un intérêt particulier à nous pencher sur l’étude des mécanismes de domination et notamment dans ses mécanismes les plus originels à savoir la production de contenu symbolique et du système de croyance qui précédé sa légitimation, son pouvoir et son acceptation.

Dans le contexte des rapport de genre, il semble intéressant d’aller chercher les contenus symboliques qui alimentent le système de croyance comme par exemple le symbole du don de soi, la réalisation par et pour soi-même via le soin à et de l’autre. Ainsi, dans quelle mesure cette symbolique peut être mobilisée comme un système de croyance pour soi et par autrui et ainsi venir alimenter au delà d’un rapport à son genre, un rapport au monde ? Quelle mobilisation les individu.e.s et collectifs font de ce symbole et quelle croyance en ce symbole est mobilisé dans le rapport genré entretenu au travail, à l’organisation du travail, aux conditions de travail, aux relations de travail et au travail qu’il soit professionnel ou domestique ?

Pour continuer dans cette voix, il s’agira d’étudier dans quelle mesure ce système de croyance dans les registres symboliques des genres ne se révélerait pas le carburant des rapports de production capitalistes ? Comme diverses sociologues ont pu le mettre en lumière, les rapports de genre, au delà de leur aspect structurant socialement et idéologiquement, s’inscrivent également dans un système économique et plus précisément dans la structure des rapports de production capitalistes.

La grande majorité du travail des femmes (éducation, santé, services, entretien, etc.) tel qu’il est pensé et organisé dans notre société capitaliste française assure la reproduction d’un ordre social et économique fondait sur l’exploitation de la force de travail des un.e.s pour l’enrichissement d’autres mais également le dessaisissement du travail à travers l’extériorité du sujet qui le réalise allant même parfois jusqu’à sa gratuité. Dans le cas du travail des femmes, il est noté la stratégie de délégitimer la valeur de ce travail car il relèverait non pas de compétences acquises mais de compétences essentialisées dans le sexe : le travail professionnel des femmes étant vu comme une extension au domaine public, du travail domestique.

Il semblerait donc intéressant d’aller chercher avec les personnes concernées dans les mécanismes de production de la croyance ce qui les amène à accepter le dessaisissement de leur travail et sa gratuité. Quels symboles ont assez de puissance pour convaincre les travailleuses qu’il est entendable et légitime qu’elles soient dessaisies de leur travail et même qu’elles le réalisent pour les autres gratuitement ?

Tout cela semble d’autant plus fascinant lorsque l’on projette la nature du travail qui est dévolu aux femmes mais également la mécanique de délégitimation de la valeur travail notamment avec l’argument d’un travail « intrinsèque », « naturel » des femmes « propre à leur sexe » qui se verrait uniquement transféré de la sphère privée à la sphère publique. En ce sens, tout porte à croire à une double croyance paradoxale à la fois dans le fait de croire à l’absence de valeur du travail produit car ce travail ne résulterait pas de compétences acquises mais de qualités naturelles donc « sans mérite ». La seconde croyance permet de dessaisir ce travail de sa productrice présentée comme détentrice par essence car il est énoncé légitimement par les lois du capitalisme comme étant la propriété d’autres. Ce paradoxe appuie bien évidemment une croyance de genre qui n’est plus à démontrer sur l’extériorité du corps des femmes d’elles même et que l’existence par et pour soi même passe en premier lieu par la réappropriation de son corps.

L’enjeu principal de la démarche serait donc d’aller chercher les manières et ressources dont se saisissent les personnes concernées pour se réapproprier leur corps et notamment leur corps producteur de travail.